S comme … Seconde Guerre Mondiale

#Geneathème, #ChallengeAZ 2024, lignée HOUEL

J’ai décidé de vous faire vivre la vie de mon arrière-grand-père. L’histoire est longue, il a eu une belle vie malgré tout.

Gustave Albert (Henri) HOUEL est un petit malouin venu au monde le 10 décembre 1906, dans cette ville portuaire porteuse de tant d’histoires réelles ou imaginaires, de pêcheurs à la conquête du monde marin, de pirateries et autres contes fantaisistes, témoin de faits historiques, porteuse d’un environnement exceptionnel et de paysages fantastiques. 

Ah Saint-Malo ! Tu appelles ce petit gars à l’imaginaire débordant à partir vivre des aventures extraordinaires !

Légitimé par ses parents le 07 janvier 1907, son père Auguste François lui apprend dès sa petite enfance, la valeur du travail, notamment celui du bois. Sa mère, Albertine Reine POISSON se désespère de le voir le nez en l’air, admiratif de tous les bateaux arrivant au port.

Le couple bouge au gré du métier d’Auguste François, on les retrouve dans le quartier du Talard à Saint Malo, puis dans la rue des bas sablons à Saint-Servan (devenu Saint Servant-sur-Mer). Auguste est artisan, un formier, puis il deviendra menuisier. Formier, c’est travailler le bois pour lui donner les formes requises par un autre métier. Par exemple, on imagine bien Auguste au fond d’un atelier, peut-être le sien, préparant les formes en bois sur lesquelles les Apprêteuses façonnent les chapeaux, ou encore, en train de façonner des embauchoirs et des bouisses, formes utilisées par les cordonniers pour cambrer les semelles.

Boulevard du Talard avec l’arrêt du Tramway en direction de Saint-Servan.

Mais l’année 1913 ne laisse présagé en aucun cas les dures années sombres qui vont arriver, pour le petit garçon rêveur qu’il est. Ses parents tombent malades probablement de la grippe qui sévit à cette époque. Son père Auguste François disparaît le 27 avril 1913, s’ensuit une semaine plus tard, la mort de sa mère Albertine Reine. Du haut de ses 7 ans, Gustave se retrouve seul. La mémoire familiale a toujours laissé dire qu’il était orphelin sans famille. Pourtant, grâce à sa fiche militaire enfin trouvée, il s’avère qu’il a été recueilli par le frère de sa maman : Albert Alexis POISSON qui est déclaré comme étant son tuteur.

Ce jour-là, 1er août 1914, le soleil fait briller les ondes marines qui s’échouent sur le port, un étrange calme s’est installé. La rumeur arrive, elle court et se fracasse aux oreilles des marins, des passants. L’ordre de mobilisation générale vient de tomber. La Grande Guerre frappe à la porte des Malouins et de tous les Français. La famille n’y échappe pas. Il faut défendre sa terre, son pays. 

Gustave, petit breton de 8 ans est seul, il a peur et il doit abandonner ses rêves.

Gustave Albert réapparaît à Villejuif en cette année 1931 où il s’apprête à épouser sa jeune fiancée, Marie Louise Madeleine TOUZEAU-LEVEILLE le 14 Février 1931. https://aucoeurdupasse.com/2021/02/14/un-mariage-damoureux-14-fevrier-1931/

Marie Louise Madeleine a poussé son premier cri fin 1912 à Versailles, le 30 décembre exactement. Nichée au creux des seins de sa mère blanchisseuse, Eugénie Marie Emilie LEVEILLE, elle ne sera reconnue par son père Louis TOUZEAU qu’un an après au moment de mariage de ses parents.

À ce moment-là, Gustave est pâtissier et Marie Louise est brocheuse.

Une brocheuse, est une femme qui broche un livre, c’est-à-dire qui assemble, plie et coud les feuilles du livre et recouvre celui-ci d’un papier préparé pour cet usage. Ce fut un corps de métier à part entière qui disparut progressivement avec la mécanisation des tâches de reliure, c’est-à-dire au début du XXe siècle. Aujourd’hui, ce métier est absorbé par celui de relieur, il ne représente plus qu’une étape du processus de reliure.

En exerçant son métier de brocheuse, relieuse, elle a travaillé avec ma grand-mère Monique SIARD alors qu’elle commençait à travailler. L’une cousait le livre, pendant que l’autre tirait sur les fils pour éviter qu’ils s’emmêlent (période 1950-60 environ).

https://aucoeurdupasse.com/2021/11/02/b-comme-brocheuse-de-livres/

Gustave Albert est recensé pour son service militaire quelques années plus tôt dans le courant de l’année 1926 sous le matricule 1234. Il effectue ses classes au 129e régiment d’infanterie et obtient comme de nombreux jeunes gens le certificat de bonne conduite militaire.

Gustave et Marie Louise vivent de beaux jours de jeunes mariés et agrandissent le cercle familial avec l’arrivée de 2 enfants, un garçon Albert Louis qui est mon grand-père paternel et sa sœur Gilberte.

Mais, lorsque commence la Seconde Guerre Mondiale en 1939, il est enrôlé comme beaucoup d’autres jeunes pour partir au front et défendre la France. Il devient alors soldat de 2ème classe, incorporé dans le 241e R.I de la 2ecompagnie à Saint-Malo.

On peut imaginer le retour des souvenirs de son enfance dans sa mémoire, ceux des privations ; de la peur. Mais il n’a pas le choix, comme tous les hommes aptes à partir au front.

Ordre de mobilisation générale 02 Septembre 1939. – Wikipédia

En mai 1940, la 60e DI à laquelle appartient le 241ème RI est loin d’être complète. Elle est déficitaire en cadres et en personnel ainsi qu’en armement individuel. Son armement antichar n’est pas complet, ses mortiers de 81 mm sont périmés et dépourvus d’appareil de pointage, son matériel auto est déficitaire et est en mauvais état. 

À cette date, la 60ème DI se compose du : 

  • 241ème Régiment d’Infanterie,
  • 270ème RI
  • 271ème RI
  • 50 Régiment d’Artillerie Divisionnaire

Et de tous les services (Sapeurs mineurs, télégraphique, compagnie auto de transport, groupe sanitaire divisionnaire, groupe d’exploitation etc…). Le 10 mai 1940, la 60e DI est intégrée à la 7e Armée sous les ordres du Général Marcel DESLAURENS.

A cette période, au Nord, il y a deux grandes batailles menées de front par la Belgique, l’Angleterre et la France. N’ayant pas trouvé l’histoire précise du 241e RI, la suite n’est que supposition, mais il est certain de notre arrière-grand-père a combattu dans l’une de ces batailles et y a été fait prisonnier en mai 1940.

La bataille du Nord, plus communément appelée « Bataille de la Lys« , est la plus importante bataille de l’armée belge en 1940 pendant la campagne des 18 jours. Elle avait pour enjeu d’interdire le franchissement de la Lys par l’armée allemande, et dura du 23 au 28 mai 1940, jour de la capitulation belge.

L’armée française alliée des Belges, à prêter des hommes pour mener à bien cette bataille. Le 17 mai, dans la soirée, la 7e armée a entièrement évacué le territoire belge. Seules les 60e et 68e divisions d’infanterie, regroupées dans la région de Thourout et formant le 16e corps d’armée du général Falgade restent sur place pour soutenir l’armée belge.

« La bataille de Dunkerque » (nom de code Opération Dynamo) s’est déroulée du 25 mai au 03 juin 1940. Prises en étau par les troupes allemandes, et sous le feu de leurs avions et de leur artillerie, les forces alliées embarquent à Dunkerque pour rejoindre l’Angleterre.

Carte « Bataille de France » 1940

Le 20 mai, la situation est désespérée ; deux divisions de panzers atteignent Abbeville et la mer. La Wehrmacht parvient ainsi à couper les armées alliées en deux avec, entre les mâchoires de la tenaille, un million de soldats français, belges et britanniques pris au piège.

Mais Gustave est capturé le 28 mai 1940 à Nieuport en Belgique, on peut donc supposer qu’il ait fait partie des prisonniers de la bataille de la Lys.

Si on prend en compte ce qui est communément appelé « la Bataille de France » englobant la période du 10 mai 1940 à l’armistice de Pétain le 17 juin 1940, au total, ce sont 1 800 000 soldats de l’armée française qui sont capturés par les troupes allemandes avant d’être internés dans différents types de camps sur cette seule période.

Gustave HOUEL devint le prisonnier 22130 au Stalag VIIA en Bavière, où il arriva le 29 juin 1940 en bonne santé comme on peut le lire sur sa carte de capture signée de sa main, après avoir transité par le Stalag VI B de Neu-Versen en Basse-Saxe au nord de l’Allemagne. 

Liste des prisonniers de 1941 – Gallica.

Après presque un an de capture au stalag VIIA, il est transféré au Bau-Bataillon 27 et soumis à travailler dans les fermes allemandes pour subvenir aux besoins des familles privés de leurs hommes partis au front (tout comme en France).

Parcours de Gustave HOUEL, prisonnier de 1940 à 1945.

Carte de Prisonnier signé de sa main. Gustave HOUEL – Croix Rouge Internationale

Histoire du STALAG VIIA :

Le Stalag VII A se trouve en Bavière au Nord-Est de MUNICH, dans la vallée de l’Isar. Le camp comprend une quarantaine de baraques en briques et en bois, blanchies à la chaux, dont les toits sont couverts de papier goudronné. Elles s’alignent, de part et d’autre, d’une large avenue asphaltée, séparée par des pelouses, des massifs de fleurs et arbustes, aménagés par les architectes paysagistes et les jardiniers du camp. 

Au centre de chaque baraque, se trouve une salle, au sol bétonné, servant de lavabo et de buanderie. Sept de ces baraques, seulement, sont occupées par des Français. Chacune d’elles abrite 400 Prisonniers. Les pièces sont chauffées à l’aide de poêles sur lesquels les Prisonniers préparent leur nourriture privée.

Le site de Moosburg présente le Stalag de l’époque, sa reconversion aujourd’hui et de nombreuses photos sur lesquels parfois, apparaissent des noms de prisonniers. Ne sachant pas trop quelle allure avait mon arrière-grand-père à cette période, il est impossible de savoir s’il figure sur ces photographies. Peut-être un jour… les recherches ne sont jamais finies !!

Entrée du Stalag VII A Moosburg.

Il existe peu d’information sur le Bau-Bataillon 27 mais d’après les écrits de certains prisonniers, la vie n’y était pas si mauvaise que cela, le travail était certes ardu et éreintant, car souvent situé dans des fermes, mais laissait entrevoir une semi-liberté au sein de familles allemandes somme toute compréhensive de la situation des prisonniers.

Durant cette longue période, la famille tient le coup à Villejuif. Il le faut malgré les restrictions, les contrôles allemands, les bombardements. Lorsque ceux-ci devenaient trop proches, trop violents, les consignes étaient de se réfugier dans les sous-sols ou souterrains de l’hôpital Paul Brousse de Villejuif. Il fallait courir, se boucher les oreilles, ne pas tomber et courir encore … en priant souvent pour que le malheur ne leur tombe pas sur la tête.

Dans le même temps, l’organisation des renseignements, de l’aide et des secours aux familles de prisonniers, mis en place dès le début du conflit, sont rendus difficiles du fait du morcellement du territoire par l’occupant.

À partir de janvier 1941, les autorités allemandes imposent des cartes-types et des cartes de colis pour la correspondance avec les prisonniers. Grâce à celles-ci, il était possible de récupérer un colis qui pouvait être envoyé au soldat prisonnier, dont le contenu était essentiellement des denrées non périssables, du savon, parfois un objet personnel comme des gants ou une écharpe.

Marie Louise et ses enfants, Gilberte et Albert, allaient au Comité de Soutien des prisonniers de guerre pour récupérer ces fameux colis. Souvent, ils étaient accueillis par un ancien soldat mutilé, sûrement un ancien combattant de la Première Guerre mondiale. Un homme « avec une jambe en moins ». Peu importe l’infirmité, il avait un regard bienveillant, il offrait aux enfants un gâteau sec, dont le goût est inexplicable aujourd’hui, mais qui est resté ancré dans la mémoire de la fillette, Gilberte. Mais elle était heureuse d’avoir ce petit gâteau sec, en ce temps de privations, cela faisait du bien, au moral et à l’estomac.

La libération par le débarquement de 1944 et la signature de l’armistice sonnent la fin du calvaire et la promesse du retour des prisonniers. Le retour de Gustave, notre arrière-grand-père, notre grand-père, notre père selon notre position dans cette généalogie, au sein de ses foyers, se fera via Hanovre et Hildesheim par le train à partir du 30 Avril 1945.

Mais le retour ne se fera pas sans difficulté. Un matin de 1945, la maîtresse vient chercher les enfants et leur dit, avec le plus beau sourire sur le visage : « Rentrez chez vous, votre père est de retour ».

Cet homme, si faible, si fragile, ne ressemble pas au souvenir qu’il a laissé incruster dans les mémoires. Difficile de le serrer dans ses bras, de peur de le blesser à nouveau. Et pourtant, c’est tout l’amour et l’affection de sa famille, qui redonnera à Gustave la force de se battre et de retrouver sa place de maitre de maison.

Il faut laisser le temps au temps, chaque minute mène vers un futur qui sera toujours plus ensoleillé que ses 6 dernières sombres années.

Si je l’ai connu, c’est à la fin de sa vie, au moment où il profitait le plus des petits plaisirs de la vie, au moment de sa retraite. C’était à Michery, dans sa « maison au fond du jardin », installé avec son épouse.

Michery est un tout petit village d’à peine 1000 habitants depuis 1793, le nombre d’habitants est peu fluctuant. On peut y découvrir les vestiges d’une abbaye cistercienne de la Cour Notre-Dame qui a été fondée au XIIIe siècle, afin de s’occuper des soins des lépreux. Outre les bâtiments de ferme, il ne reste que le chœur de l’ancienne église abbatiale, transformé en chapelle au XVIème siècle. 

Pourquoi Michery, me direz-vous ? Parce qu’ils ont été charmés par la vallée de l’Yonne et des collines du Pays d’Othe, par cette verdure, ces champs où la lumière du soleil joue avec les brins de blé jaunis par la chaleur, là où le temps s’arrête.

De cette petite maison en bois, mes souvenirs sont un peu flous, mais de mémoire, elle était toute simple avec une entrée qui donnait sur la cuisine que l’on traversait pour atteindre une petite salle à manger. Sur la gauche de cette cuisine, se trouvait la chambre. C’était une maison remplie d’amour abritant un couple un peu mystérieux à mes yeux. https://aucoeurdupasse.com/2024/04/10/jai-retrouve-la-maison/

Ce que j’ai découvert dans ces recherches m’a surpris et attristé, n’ayant jamais entendu quoi que ce soit sur cette période, ni vu de photo du temps de leur vivant.

Que de souffrances cachées aux générations futures dans l’espoir qu’elles ne revivent jamais le même enfer.

Gustave est parti parmi les étoiles le 1er avril 1996 et Marie Louise l’a rejoint le 10 février 2002. Ils avaient 89 ans tous les deux.

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